En Dios Confiamos

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Le Nicaragua, un pays d'Amérique Centrale à peine plus petit que l'état de New York, coincé entre le Honduras et le Costa Rica. Autrement dit, un lieu contaminé par le narcotrafic, balafré d'innombrables pistes d'atterrissage clandestines et de routes destinées aux marchés parallèles. Le défi du nouveau millénaire étant d'empêcher les Costariciens au Sud de se laisser gangrener par le business de la drogue. Un nouveau dictateur élu au pouvoir, rien de nouveau sous le soleil. Ross se souvient d'un temps où il était complice de ce genre de fumisteries. La CIA, avec l'appui de l'Air Force, avait soutenu les Contras qui opposèrent leur révolution à celle des partisans des soviétiques. Combattre les cocos : ça c'était la grande époque, où Thunderbolt se serait préféré mort que rouge. L'ironie ne vous échappera pas...

Assis sur une chaise en paille tressée, le Général savourait son premier café brûlant de la journée en tirant de tout son coffre sur un havane. Sur la table du carré des officiers, un bol en terre cuite rempli de sorgho et de haricots encore fumants. Rien, non rien n'indiquait la journée de mierda que Ross s'apprêtait à passer. Pourtant, la nouvelle était arrivée la veille. La nuit semblait devoir porter conseil, mais il avait dormi sur ses deux oreilles, confiant en ses hommes. Il avait choisi. Il irait s'occuper personnellement de la situation. Une prise d'otage, c'était avant tout l'occasion d'exercer sa morgue et sa verve naturelle pour démolir le petit prétentieux qui osait faire des ultimatums en présence de la force américaine.

Il sortit de sa poche de chemise, un petit étui de cuir beige, patiné. L'ouvrant, il médita un instant devant la photographie qu'il en avait tiré à l'instant. Elle était magnifique. Elle ne cessait de le rendre fier, même s'il était en totale opposition avec la majorité de ses choix à lui. Elle avait des convictions, de l'ambition, du cœur et surtout un avenir. C'était à lui, le Général Thunderbolt Ross, sinon qui, de veiller à ce qu'elle ait un monde sain pour vivre l'instant présent. Betty, sa fille, son amour, la chair de son sang. Jamais il n'aurait rêvé pareil cadeau. Sa défunte épouse aussi lui manquait, mais le combat, c'est pour les vivants.

Il retroussa ses manches, avala d'une louchée toute sa bolée de féculents, goba son café puis enfonça sur sa tête sa vieille casquette étoilée. La bannière à rayures n'attendait pas. Ses rangers claquaient sur le sol, semblables au rythme guerrier d'un tambour tribal. Toujours son barreau de chaise au bec, il aboya à son second de commande :

"Talbot, je sors. Si la presse ou le bureau ovale nous appelle, dites-leur que nous ne savons rien."

Déjà au volant d'une jeep militaire avec pare-buffles et lance-patates embarqué, il se dirigeait vers la scène de crime, ou plutôt le théâtre des opérations, seul. Il ajouta, bien qu'hors de portée de voix désormais, en murmurant sous le bruit du moteur :

"Je vais botter du terroriste."

On aurait probablement pu distinguer un sourire satisfait, peut-être même légèrement cruel dans les coins. Il aimait faire son boulot, plus encore qu'il estimait devoir le faire à tout prix. Ce monde serait moins sûr sans un Thunderbolt Ross, à moins qu'on en fusse déjà rendus à élever des chèvres dans le Vercors. L'apocalypse n'était jamais loin, si un homme de pouvoir refusait de se battre contre les ennemis de la nation. En l'occurrence, il était bien décidé à en finir avec le loustic avant que sonne l'heure du déjeuner. Se rapprochant du lieu des faits, il chercha du regard un quelconque autochtone qui représente ce qui passe pour la loi et l'ordre par ici.

"Bon dieu de merde ! Qu'on m'apporte un café et un rapport de la situation. Oh, et puis laissez tomber pour le rapport, mettez-moi plutôt un supplément de café, serré."

Ross était Ross, égal à lui-même, à travers les années. Il n'était ni de bonne, ni de mauvaise humeur. Il paraissait comme inchangé par le passage du temps, hormis le poivre et le sel qui se disputaient sa moustache et sa crinière d'ancien pilote. Pourtant, pourtant il y avait comme une tension dans l'air, qui attendait que l'homme de guerre ne réalise. Quelque chose ne collait pas. Un moustique vint se poser sur son avant-bras. A travers ses verres solaires, un lueur ambrée brilla un court instant. D'un claquement de paume, l'insecte parasite n'était plus. Au suivant, songea-t-il. L'étrange familiarité de la situation continuait de lui échapper.