Doomstadt, capitale de la Latvérie.
Un écrin de technologie dans un pays balkanique complètement ancré dans le Moyen-Âge, avec ses rues étroites, ses maisons à un étage, ses toits de chaume et ses constructions d'inspirations européennes. Autrefois pauvre et minée par la mortalité infantile, la Latvérie avait, ironiquement, bénéficié d'une amélioration record de son niveau vie, lorsque le tyran Victor von Doom s'était suppléé au précédent dirigeant. Certes intraitable, arrogant, mégalomane et dictatorial, le baron de métal n'en restait pas moins un scientifique de haute volée, industriel et businessman efficace, pesant à lui seul des millions de dollars américains. Sous sa houlette (et à marche forcée), la population locale avait réitéré l'exploit de l'URSS, compensant son retard technologique en un battement de cil à l'échelle de l'Histoire. Aujourd'hui seul pays de la région des Balkans à afficher un PIB digne d'une nation membre de l'OTAN, la Latvérie cultivait sa dichotomie entre évolution et traditionalisme, son atmosphère charriant un parfum de Roumanie sur laquelle se serait greffé le château ultra-moderne du tyran au masque de titane.
* J'y séjourne de moins en moins souvent... Mes administrés vont finir par me croire négligeant vis-à-vis de leur bien-être. * Grinça, glacial, le trentenaire brun en fermant d'une main adroite le dernier bouton de sa chemise bleu cobalt, enfilant par-dessus le haut en lin le reste de son costume d'homme d'affaire.
Pour son invitée de la soirée, Doom tenait à apparaître comme un humain, et non comme le diabolique docteur, l'ennemi juré des Quatre Fantastiques. Son visage rasé de près lui rendit une œillade acérée dans le miroir. Sévère, mais juste. Son expression faciale allait devoir lui servir d'alibi pour toute la réunion. Mieux valait vérifier une dernière fois si elle semblait convaincante.
* Votre chute est imminente, monsieur Stark. Et le pire, c'est qu'elle ne se fera même pas de ma main. Je ne serai que l'instigateur de votre chute, un spectateur passif devant votre lente descente aux enfers. Permettez-moi de retourner chacun de vos alliés, amis et frères d'armes, contre vous. *
L'écho d'un silence installé depuis son entrée dans sa vaste chambre pour se changer mourut lorsqu'un serviteur du domaine de Doom toqua à la porte de son seigneur. Jetant un coup d'œil à son masque, resté sur le support qui lui était attribué au centre de la pièce, Victor embrassa ses environs des yeux, pour finalement s'estimer prêt. Lorsque son laquais fut invité à entrer, le rival de Red Richards empoignait déjà la chemise contenant toute la paperasse nécessaire à ses futures transactions.
* Aimable et sympathique. Tu es un industriel qui veut juste éviter qu'un concurrent n'obtienne le monopole. Rien d'autre. Ce n'est absolument pas le début d'une manœuvre très délicate visant à faire de toi le maître du monde. * Se rabâcha le génie criminel pour se mettre en condition.
" Mon seigneur, votre invitée vous attend dans le petit salon, comme commandé. "
" Qu'on ne nous dérange sous aucun prétexte ! " Intima sévèrement le souverain sans se fendre d'un merci, dépassant à pas pressés le serviteur qui courba l'échine, comme le stipulait l'étiquette au sein de la Latvérie.
Parcourant machinalement les couloirs de pierre taillée de son immense propriété , éclairés par des torches murales et gardés par des hommes en arme, le monarque mit la dernière touche à son mensonge, affinant certains détails pour les rendre plus crédibles. Puis une pensée de pure lucidité lui traversa l'esprit.
* De toute manière, l'important n'est pas mon prétexte... C'est le jour sous lequel je lui présenterai ce cher Tony Stark qui devra la pousser à me croire. C'est autour de ce point précis que tout mon argumentaire doit s'articuler. *
Le petit salon constituait un cadre idéal pour des négociations à bâtons rompus : la décoration y était chaleureuse, accueillante (contrairement aux tonalités majoritairement froides et inhospitalières du château de Doom), pourvue d'un foyer dans lequel ronflait un feu au cachet indéniable. Les tableaux accrochés aux murs, une fois n'était pas coutume, ne représentaient pas les multiples profils du tyran, mais plutôt des toiles d'artistes latvériens célèbres : panoramas européens capturés au crépuscule, portraits de femmes aimées, ou scènes historiques du peuple des Balkans. Technocrate affiché, Victor avait insisté pour que même cette pièce soit dotée d'un écran plat mural, d'un ordinateur dernier cri ainsi que d'un projecteur 3D pour faciliter les présentations. Le mobilier, en boiseries artisanales, soutenait la note chaleureuse donnée par la décoration. Et pour parachever le tout, quelques petites dispositions avaient été prises par le seigneur des lieux, qui enfila d'une traite le dernier couloir le séparant de sa destination. Les plateaux de nourriture commandés au traiteur royal devaient l'avoir précédé (un cuisinier perdrait une oreille, sinon ; pour apprendre à mieux écouter les consignes), tout comme le chariot contenant un assortiment éclectique d'alcools. Souriant intérieurement, le trentenaire songea qu'il n'aurait manqué qu'une musique d'ambiance et un joli coucher de soleil pour faire de la rencontre un diner romantique.
* Heureusement que je ne suis pas aussi indiscipliné que l'homme de fer, dans ce domaine. * Se rengorgea fièrement l'individu au cœur de pierre, tandis que deux de ses gardes le précédaient pour lui ouvrir les portes à doubles battants du petit salon.
Faith Armstrong, assise dans son fauteuil, occupait déjà l'espace, dont tout un pan avait été détruit pour construire une baie vitrée donnant sur la forêt voisine (à vrai dire, il s'agissait du seul angle de vision qui ne permettait pas de voir le reste de Doomstadt, et ses faubourgs miséreux). Fondant sur la rousse tel un rapace s'abattant serres en avant sur sa proie, un Victor von Doom au sourire aussi éclatant que fielleux salua en mains propres son invitée.
" Mademoiselle Armstrong ! Quel plaisir de vous rencontrer. Je suppose que cela vous a déjà été dis, mais permettez-moi tout de même de vous le souhaiter en personne : soyez la bienvenue en Latvérie ! "
Bien que respectueux d'une consœur scientifique naviguant elle aussi dans le milieu des affaires, le rival de Red Richards conçut au premier instant du mépris pour l'handicapée qu'était Faith. Prisonnière de son état physique, elle demeurerait à jamais inférieure au Docteur Doom, dont l'inégalable génie et l'ambition lui avaient autrefois permis d'outrepasser ses limites physiques en devenant...Un surhomme. L'égal d'un dieu.
Manœuvrant en terrain connu, l'hôte de la jeune femme interpréta magistralement son rôle, entamant la discussion par les banalités d'usage, tout en piochant quelques en-cas parmi les petits fours et autres canapés disposés sur une longue table basse en acajou.
" J'ose espérer que votre voyage n'a pas été trop désagréable... Le décalage horaire entre les deux continents m'a longtemps valu de perdre une journée entière à me réaclimater... Mais depuis, j'ai pris l'habitude. Si vous désirez quoi que ce soit, – rafraîchissement, apéritif, boisson chaude - sentez-vous libre de le commander. Vous êtes ici chez vous. "
Prenant tout son temps, le tyran aux yeux d'émeraude s'essuya les mains sur une serviette prévue à cet effet, s'asseyant confortablement dans l'un des deux canapés se faisant face au milieu de la pièce. Ne disposant que de données éparses sur Fatih, Victor préféra tâter le terrain pour découvrir à quel type d'intellect il allait avoir à faire. Entrecroisant les doigts de ses deux mains, le monstre dictateur au visage amical n'annonça pas de suite le but de la rencontre, apostrophant plutôt la paraplégique d'un timbre malicieux.
" Très bien... Épatez-moi, mademoiselle Armstrong : selon vous, pourquoi vous ai-je faite venir ici ? "