Abri vermeille

 « Inari ? », se répéta t-elle pour elle-même.

Après tout, elle n'avait peut-être pas de hautes connaissances en terme de mythologie, mais elle en savait plus sur la manière d'égorger un homme comme un poulet. Ceci l'avait d'ailleurs sauvé mainte fois, chose qui n'aurait pas été le cas avec les Amatsu Kami. Les connaître c'est une chose, que cela serve au quotidien, s'en est une autre. Laura se présentait comme une jeune ingénue face à cet être divin qu'elle n'avait pas l'intention d'arrêter de dévisager pour autant. Elle buvait ses paroles comme un enfant l'aurait fait face à sa première leçon d'Histoire. Qui aurait cru un jour la voir dans un pareil état, vêtue d'une nuisette et écoutant les récits d'un ancien - à côté d'un pochtron endormi qui plus est ? Cela tenait de l'invraisemblable. Au fil de ses mots, elle découvrit davantage sur Keiji qu'il n'avait pu connaître sur elle en si peu de temps. Bien sûr, de cela, elle l'ignorait encore. Et il n'avait pas encore toute sa tête pour pouvoir lui avouer quoi que ce soit de décent, à moins que les sentiments qui le liait à elle soient suffisamment puissants. L'homme devint femme. Et quelle femme. Il ne choisissait pas ses apparences au hasard, semble t-il. Alors qu'elle s'approchait de Keiji, les yeux de Laura vinrent s'aimanter à lui. Alors comme ça, ils n'étaient pas si différents que ça l'un de l'autre...conditionné comme des rats. Incapables d'en sortir, sauf par la force. Et voilà où cela les avait menés. Quelque part, la jeune femme n'était pas tout à fait d'accord avec les traitements de faveurs apportés à ce qui reste de Kamikaze. Elle regrettait qu'il en soit arrivé là, même si elle n'avait absolument rien à voir avec toute cette histoire de dieux. Pour le moment, elle se trouvait assez silencieuse, mais au fond d'elle, quelque chose bouillonnait. La colère ? Serait-ce de la colère ?

Ses bras se délièrent et retombèrent le long de son corps. Elle n'avait pas besoin de se cacher. Ni elle ni ce que son instinct lui dictait de faire. Le plus étonnant fut le manque d'intérêt qu'elle nota de Keiji envers elle. Comme si elle n'était qu'un fantôme, quelque chose qui n'existait pas, contrairement à la femme qui lui offrait son breuvage en guise d'ultime visite. Le regard de Laura alterna entre les deux interlocuteurs jusqu'à ce que Inari disparaisse, laissant derrière lui – elle ? - un torrent d'insultes de la part de l'ex-dieu des vents.

Elle laissa un lourd silence s'installer. Tout en se mordant l'intérieur de la joue, elle déposa ses poings contre ses hanches.

« Visiblement, je vais devoir te garder ici pour un certain temps... », souffla t-elle, résignée.

La jeune femme tourna les talons pour se rendre dans la cuisine, sortit un verre et le remplit d'eau fraîche. Elle retourna vers le sofa où se trouvait Keiji, et lui tendit le verre. Voyant qu'il ne le prenait pas, elle le déposa sur la table basse et accompagna ses gestes par des mots. Chose qui était rare.

« Tu ferais mieux de boire. Ca avait vraiment l'air dégueulasse, son truc. »

Au moins, ça avait le mérite d'être clair. Et s'il ne buvait pas, c'était simple...il aurait à faire à elle, et ce personnellement. La colère qui la faisait légèrement frémir de nervosité commençait réellement à la peser.

Abri vermeille

Quelque part, elle préférait le garder chez elle plutôt qu'il ne courre à droite à gauche jusqu'à en perdre la tête, l'esprit. Après tout, elle ne pouvait pas y faire face : depuis qu'il l'avait sauvée, un lien étrange s'était formé entre les deux personnages qui, pourtant, possédaient deux caractères bien différents et des ambitions radicalement éloignées. Se résigner à le laisser partir ce soir, par exemple, alors qu'elle avait pourtant reçu des directives – car oui s'en était – claires, c'était le projeter dans la gueule du loup. Et quelque part elle savait que ceci lui retomberait dessus si elle n'agissait pas en conséquence. Keiji était dans un état assez déplorable ce soir, et même si l'effet de l'alcool semblait se dissiper, il était toujours cet humain fébrile à qui l'on avait volé ses pouvoirs. Au fond d'elle, elle savait que le plus difficile était à venir. Oui : elle allait l'aider à retrouver sa puissance oubliée !

Etonnant, il but ce qu'elle lui avait offert. Ce fut un moyen nécessaire pour qu'il s'intéresse un tant soit peu à ce qu'elle avait à dire. La jeune femme resta debout à l'écouter, les bras le long de son corps, telle une statue des temps anciens. Inexpressive, sauf dans ses jeux de gestes, donc.

Mais elle avait une dette envers lui et c'était plus fort qu'elle...elle n'allait pas le laisser partir de si tôt. Où allait-il aller ? Entre quatre murs, enfermé, il n'allait pas arriver à grand chose. Et si la Résistance l'apprenait ? Sans doute qu'une infime part le soutiendrait dans son effort pour vivre en tant qu'humain. D'autres en riraient sûrement. Être dépucelé de ses pouvoirs, c'était comme être privé d'un de ses membres. On ne sait pas comment vivre sans...et ce quoiqu'on en dise.

« Keiji. Tu ne partiras pas d'ici. », l'informa t-elle avec tact.

Une idée sordide germa dans sa tête. Or il ne s'agissait que de la meilleure alternative.

« Tu vas venir habiter ici. Demain je t'aiderais à ramener tes affaires : tu auras besoin de moi. »

Le voyant s'allonger sur le sofa, elle ne put qu'être rassurée par ce geste. Il commençait à s'installer sans qu'il ne s'en rende compte, à avoir un peu plus confiance. Elle se fiait à ce qu'elle voyait et non pas au reste. Laura réagit ouvertement au terme « sexy » qui était là pour la déterminer, chose qu'elle fit en sortant ses griffes en Adamantium de son logement de chair. La fatigue morale avait de quoi la transformer en véritable monstre sur pattes.

« J'ai une dette envers toi. Que ça te plaise ou non. »

Pour la première fois de sa vie, elle ne sut pas quoi faire. S'asseoir pour l'écouter parler ? D'ailleurs, en avait-il seulement envie ? Ou bien aller se coucher directement ? A se demander si elle allait réussir à dormir...il ne manquerait plus qu'il se mette à ronfler, celui-là. Mais la fatigue allait sans doute l'aider à tomber dans les bras de Morphée.

« Bon...je vais dans mon lit. Pleure pas, c'est à cinq mètres de toi. Et interdiction de me réveiller pour des broutilles. », prévint t-elle.

Elle éteignit la lumière principale afin de ne laisser que la lampe de chevet et rentra ses griffes. Laura tira sa deuxième couverture de son lit et la jeta littéralement sur la tête de Keiji.

« Tiens. »

Avant de retourner dans son lit et de s'y installer.

Abri vermeille

Allongée dans son lit, elle avait éteint la lumière dès lors où elle s'était glissée sous les draps, laissant une faible lumière, celle de la ville, s'engouffrer dans le petit appartement. Peu habituée à avoir quelqu'un dans le périmètre, elle ne parvint pas à s'endormir. De toute évidence, Laura entendit les paroles de Keiji qui eurent le don de l'agacer. C'était bien un homme, ça...la fierté jusqu'au bout des ongles. Rien ne semblait pouvoir le raisonner pour le moment. En plus d'être alcoolisé, même si tout ceci semblait se diluer dans son sang, il avait la mauvaise manie d'être têtu. Alors elle se rendit compte que les efforts qu'elle faisait étaient totalement vains et qu'elle n'aurait plus à en faire pour autrui désormais. Elle voulait se forcer à ne pas bouger, mais très vite, en tournant plusieurs fois dans son lit à la recherche du sommeil...elle ne put s'empêcher de se lever, d'enfiler un pantalon et des chaussures et de suivre la trace de cet ahuri qui avait décidé de sortir en pleine nuit pour expier je ne sais quel démons...

Lorsqu'elle passa près de là où il s'était allongé, elle souffla pour elle-même :

« Pauvre idiot... »

Mais malgré ce qu'elle pouvait en dire, elle avait une dette envers lui, ce qui expliquait son geste. Du moins, c'était ce qu'elle tentait de se dire, et c'était mieux ainsi. A peine fut-elle sortie qu'elle sentit l'odeur du sang à plein nez. Et ce n'était pas un sang qu'elle ne connaissait pas, il lui était familier car elle l'avait déjà senti auparavant. Elle huma l'air une dernière fois avant de s'élancer dans la direction qu'avait prise le nippon. Elle sentit alors de nouvelles odeurs, le sang était même froid, ce qui signalait des reptiles. Mais pourtant, ils avaient l'air d'humanoïdes à l'allure de reptiles...comment avaient-ils fait pour atterrir dans cette dimension ? Qui les y avait envoyé ? Toujours est-il qu'ils en voulaient à Keiji, et elle était à présent ici pour lui prêter main forte. Il devrait laisser de côté sa fierté une bonne fois pour toute s'il voulait vivre...que ce soit avec ou sans elle, d'ailleurs.

Elle n'était pas encore arrivée à proximité que deux reptiles chargèrent dans la direction de Keiji tandis qu'un autre allait le prendre à revers. La jeune femme sprinta et jeta son pied griffu vers le cou du reptile, ôtant sa tête d'un geste précis et sauvage. Le sang frais gicla sur Keiji qu'elle remarqua effectivement blessé. Alors qu'ils en avaient fini avec les 'premiers' de la liste, d'autres foncèrent sur eux...

Laura trancha, décapita, estropia. Sans état d'âme, comme on le lui avait apprit.

Lorsque le dernier tomba à terre, un silence de mort s'installa entre les deux. Elle se tourna vers lui, puis lui fit face, le fixant sans dire un mot. Mais quelque chose au fond d'elle la démangeait...

Abri vermeille

Haletant encore un peu, son cœur battait à cent à l'heure. Et ce malgré l'entraînement qu'elle avait eu durant toutes ces années : elle avait beau être endurante, le souffle était quelque chose d'humain comme de mutant, quoi qu'on en dise. La jeune femme, la vue encore un peu embrumée par l'effort, sentit venir Keiji un peu trop tard. C'est alors de façon lamentable qu'elle se laissa faire, du moins c'était ce que son for intérieur lui disait à ce moment-là afin de la rassurer. Elle n'aurait pas pu l'en empêcher, sauf en lui donnant un coup de griffe qui l'aurait sans doute grièvement blessé. A quoi bon ? Elle était là pour régler une dette envers lui, rien de plus. Mais il en avait profité et...ceci lui avait plu, il fallait bien l'avouer. Il s'excusa même, ce qui eut le don de la surprendre : s'il l'avait fait, mettant de côté sa fierté masculine, c'était qu'elle comptait pour lui. Du moins, elle l'espérait...

La petite sauvageonne ne dit strictement rien, le suivant jusqu'à la ruelle d'à côté, là où une traînée de sang s'était arrêté. Ils y trouvèrent un homme-reptile, avec qui le nippon s'entretint de façon plutôt violente. Il n'y avait pas beaucoup de moyens pour faire parler quelqu'un, sauf s'il y avait menace. Elle fixa la scène avec un détachement particulièrement impressionnant, ne cillant même pas lorsque la lame vint trancher la tête de la bête, la tâchant elle aussi par la même occasion. Keiji jeta son sabre et pivota vers elle. Il lui fit alors part de ses volontés, chose qui était partagé. Elle n'avait plus envie de rester ici et une bonne douche serait de mise avant de pouvoir parler tranquillement.

Les lames à ses pieds rentrèrent de nouveau dans leur établi de chair et elle sortit de la ruelle, emboîtant le pas à son compagnon de nuitée. Ils retrouvèrent le chemin de son appartement, elle prit soin de ne pas tâcher le sol avec ses bottes pleines de sang, puis grimpa à l'étage dit par l'escalier, suivi de Keiji.

Une fois arrivés – car oui elle avait laissé la porte ouverte volontairement – il leur suffirent d'entrer. Cette fois, elle ferma à double tour la porte de l'appartement. La peau de Laura était anormalement froide, chose qui signifiait qu'elle était sortie d'une situation d'effort. Elle passa devant Keiji comme si de rien n'était et alla dans la salle de bain, laissant la porte ouverte. La jeune femme commença à se déshabiller, mais elle sentit une présence dans son dos. Lorsqu'elle se retourna, elle le vit, puis l'attira vers elle.

« Essaie encore. », le défia t-elle.