Citation
___song
Né un jour de pluie, comme si cette journée laissait présager un sombre destin. Pendant des années il aurait pu continuer à penser cela, jusqu'à ces dix dernières années bien évidemment. Si on commençait par le commencement ? Bonne idée. Ou pas. Il est vrai que ce ne sont pas des choses à raconter et qu'il ne racontera probablement jamais. Comme une ombre qui le suit partout, il ne peut malheureusement pas s'en défaire. Le passé est parfois quelque chose de terrible pour certains, qui s'efforcent de vivre au jour le jour, Carpe Diem, comme on dit. Celui-là finira tôt ou tard par le rattraper. Parce qu'il ne l'assume toujours pas.
Dublin, 1896. Une jolie rousse met au monde un enfant, comme beaucoup d'autre en ce trente et un octobre. Elle est heureuse. L'homme qui l'accompagne, lui, l'est beaucoup moins. Certes il désirait un fils, mais il avait peur pour lui. Une fille aurait été plus malléable, elle aurait pu échapper aux chasseurs, en restant dans un couvent ou en traversant la Manche. La vie de ce couple avait basculée du jour au lendemain avec l'arrivée de Joshua, aussi appelé Cinead, signifiant “né du feu”. Sa mère était en effet une mutante avec des affinités prononcées avec les flammes, ce qui expliquait sûrement son caractère explosif. Son père l'était tout autant, mais moins, il avait, je dirais, plus de retenue. La froideur de son regard, de ses gestes, tout… tout portait à croire qu’il possédait un cœur tout de glace recouvert. Aimait-il cette femme à qui il avait donné un enfant ? Elle même se venait à se le demander. Ils ne purent malheureusement pas rester longtemps dans la plénitude, ni même dans le secret. Du haut de ses dix ans, le petit Joshua découvrit ses pouvoirs à l’école, ce qui lui valut d’être remarqué. Une petite communauté de leur propre ville les dénonça aux autorités, chose qui était à prévoir depuis longtemps déjà, mais accentué par le gamin, incontrôlable. Sean n’avait en tête qu’une seule alternative, la fuite. Partir loin, et ils le pouvaient malgré eux. Sa femme refusa. Elle était une battante et la fuite signifiait l’abandon, de ses terres mais aussi de ses rêves. Un conflit éclata, les avis étaient scindés et l’enfant était entre eux. Ils en vinrent aux mains…un incident se produisit dans leur affront. Fiona perdit la vie.
C’est à partir de ce moment-là que Sean devint celui qu’il a toujours été, avant qu’il ne rencontre Fiona. Elle était partie en même temps que l’once de douceur qui avait fait partie de lui pendant ces quelques années, mais sûrement les meilleures de sa vie. Il garda pour lui sa peine immense, et préféra se concentrer sur son fils, la seule chose qui lui restait. Comme beaucoup d’irlandais à cette époque, ils émigrèrent vers l’Amérique. En quête de nouveautés ? Pas vraiment, il espérait surtout s’y cacher, et continuer à vivre. Il était ambitieux, c’était un homme sage quoique trop porté par ses émotions négatives. Inutile de vous dire que Joshua était tout le portrait de son père. Que voulez-vous, il n’aura connu que ce symbole dans le petit quart de sa vie. Jusqu’à son adolescence, il le connut. Ses pouvoirs étaient un vrai chantier, et il se faisait remonter les bretelles à chaque incident, si léger soit-il. Une réaction agressive envers des personnes qui ne le méritaient pas, ou même envers son paternel, cela suffisait à ce qu’il en vienne aux coups. Jusqu’à ce qu’il atteigne un âge où encaisser sans rien dire devenait impossible. L’adolescence, l’âge de rébellion et Joshua n’y échappa pas. Il surprit même son père, à qui il sauta au cou, crocs sortis. Cet événement qui se répéta souvent provoqua chez Sean la remontée de nombreux sentiments. Douce amertume qui se développa comme un cancer dans son âme. Pianiste professionnel, il lui apprit les ficelles du métier, et lui légua son plus fidèle ami, un Erard à queue de 1875. C’est d’ailleurs installé au piano qu’il assista malgré lui au suicide de son père. Il s’était introduit dans la pièce principale, une arme à feu à la main. Il dégoulinait d’eau de pluie, et tenait une arme à feux à la main. Il la porta à sa tempe et prononça quelques mots avant de presser sur la détente. Ce son vif transperça le cœur de Joshua, qui aimait son père malgré les tensions qui avaient pu exister entre eux. Un haut le cœur, il était prêt à en vomir, mais se rua sur le cadavre de son géniteur, les yeux mouillants. C’était la dernière fois qu’il pleurait.
« Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort ». Cette citation était faite pour lui, à une époque. Il ne fut pas inculpé pour le meurtre de son père. Reçu également ce qui était sur son testament, où il marquait qu’il lui léguait tout. Absolument tout, et en particulier cet Erard dont il ne se sépara jamais. Un peu d’argent, et un coffre où était renfermé de nombreux secrets. Joshua se promit de ne pas l’ouvrir avant que le moment dicté n’arrive.
Il continua donc sa vie solitaire. Ne prenant pas les rides comme les autres, Joshua dû néanmoins faire son service dans l’armée. Il fut appelé quelques temps plus tard à débarquer sur le sol français en Normandie. Chose qu’il fit, et il en vit des horreurs. Mutant étant, ses pouvoirs lui sauvèrent à de nombreux moments la vie. De retour à New York, personne ne l’accueillit. Pas de femme à embrasser, ni même d’enfant à serrer dans ses bras. Personne. L’amour, comme beaucoup d’autres choses d’ailleurs, étaient des choses intouchables et inexprimables. Destiné à finir seul. Il ne voyait plus le bout du tunnel, il plongeait dans la monotonie et cela ne semblait plus en finir. Comme bon nombre d’êtres dotés de longévité, la dépression était toujours d’actualité, ainsi que cette peur maladive de la faucheuse. Josh ne semblait pourtant pas être dans un tel état, si on se fiait à l’extérieur bien sûr. Il ne faut jamais se fier à l’extérieur avec lui. Car il est tout simplement incapable d’extérioriser correctement ses sentiments, et ça n’a pas changé depuis. Entre cours particuliers et salles de concert, il gagnait plutôt bien sa vie, sans prétention. Rien de bien bouleversant dans sa vie, jusqu’à ce qu’il arrive au mauvais endroit, au mauvais moment. Pas plus tard qu’en l’an mille neuf cent cinquante trois, alors qu’il sortait d’un concert. Il arriva en plein milieu d’un affront entre deux groupes dont un à effectif réduit. Joshua ne réfléchit pas et porta main forte à cette personne prise en embuscade et n’hésita pas à tuer pour cela. Chose que remarqua la dite « victime ». Un homme marqué par l’âge, mais pas trop. Il avait l’air puissant malgré les apparences et parlait avec un fort accent russe. Cet homme l’invita à boire un verre, c’était dans les coutumes, disait-il.
Cet homme, c’était Sergei Alekseïevitch, tête d’un groupuscule soutenant l’URSS sur tous les fronts. Ce n’était pas des petits joueurs et avaient des rangs qui s’étalaient sur tout le pays, mais aussi en Europe. Ils étaient avant tout des espions, mais étaient aussi chargés d’exterminer des personnages…encombrants. Le fait d’avoir aidé cet homme déclencha quelque chose, tant chez le russe que chez lui. Malheureusement il fut le dernier à s’en rendre compte. L’ayant vu à l’œuvre, il remarqua chez lui un don. Pas le genre de don que s’étaient imaginé les quelques habitants de Dublin. Non. Le don qui fait que cet homme se soit penché sur son cas. Plusieurs entretiens, autour d’un verre d’Absinthe, jusqu’à ce que l’ambition de Sergei soit étouffante. Il lui avait ouvertement dit que son fils était décédé. Assassiné. Il ne cessait de lui répéter que sa tenue, sa personne lui faisait penser à lui. Contre à toute attente, il l’invita à rejoindre ses rangs. Il le laissa croire que ça n’était pas seulement par intérêt, puisqu’il lui donna une nouvelle identité en gage – après réflexion, Joshua avait finalement accepté. Désormais, Joshua Cinead Blodwyn n’existait plus. Seul Isaak Sergeïevitch existait, identité même du fils de Sergei qu’il attribua volontairement à cet homme en qui il avait déjà placé toute sa confiance. Qu’allait-il faire au juste ? Jouer du piano pendant qu’ils s’amusent à épingler leur linge ? Non, il suffisait de se rappeler la façon dont ils se sont rencontrés, et ce qu’il a fait pour porter son attention. Tuer. Un art qui fut sien pendant des années durant, enfoui. Jusqu’à ce qu’on fasse de lui un tueur, mais pas celui qui userait de ses crocs ni de ses griffes, celui qui presserait sur la détente et briserait les os comme des morceaux de bois. Quelques années suffirent pour l’initier à l’art de l’assassinat mais aussi à la Sambo, art martial utilisé par les militaires des forces spéciales russes. Il put d’ailleurs l’utiliser, mais pas vraiment à bon escient, dans l’idée. C’était à des fins tout à fait sordides. On était pourtant fier de lui…et je ne vous le cacherai pas, il se sentait mieux depuis qu’il les avait rejoint.
Sergei ne le remarqua pas réellement, mais son « fils » Isaak ne semblait jamais vieillir. Lui, par contre, si. Et il avait tout prévu quant au jour où il se laisserait à la mort. Chose qui arriva, un douze juin mille neuf cent soixante douze. Il donnait la moitié à son fils et le reste à l’organisation…son fils, prétendu mort, et remplacé par un ex-pianiste il fallait le dire. Un malheur n’arrivant jamais seul, le véritable Isaak sorti de l’ombre et tenta le tout pour le tout. Loin d’être chagriné par le décès de son paternel, il n’aspirait qu’à une chose, prendre sa place. Chose qu’il ne put faire…il revenait de France, où il avait apprit la nouvelle et découvrit un imposteur à sa place. Isaak le provoqua en duel. L’irlandais ne perdit pas son sang-froid et accepta, après tout, c’était son honneur qui était mit en jeu. Ce jeune russe n’était pas spécial. Malheureusement pour lui, Joshua l’était, ce qui joua de peu sur la donne. La vitesse où il dégaina fut naturellement plus élevée que celui de son adversaire, qui perdit la partie. Ce fut au tour de Joshua, toujours appelé Isaak malgré cela, de prendre les rênes de l’organisation, et certains n’en étaient pas moins satisfaits.
Izia, comme on aimait le surnommer, était loin du tyran qu’était devenu son prédécesseur avec le temps. Redouté, quoique raisonnable dans ses stratégies, il filait à toute allure. Jusqu’à ce que l’un de ses coéquipiers se fasse assassiner, alors qu’il était en mission. Ce patriotisme qui n’aurait jamais dû exister dû disparaître en même temps que cette perte, lourde malgré les apparences. Il prononça un discours en annonçant son départ imminent…la surprise gagna l’assemblée, mais une main se leva. Celle qui fut appelée pour devenir son ultime successeur. Cet ami cher à ses yeux, l’un des rares qui marqua sa vie. Le pourquoi ? Parce qu’Isaak n’existait plus sur les papiers officiels, ce qui signifiait qu’il n’avait plus rien à faire ici. Pourtant on soupçonne autre chose qui l’ait fait changer d’avis si brutalement.
De retour à Manhattan, il changea de vie. Il laissa place à quelqu’un d’autre. Joshua s’enferma entre quatre murs, pendant cinq années successives. Ce sont ces années où il tenta de se pardonner en laissant parler autre chose que son instinct. D’où naquit plusieurs êtres imaginaires, sur papier, des histoires farfelues, ainsi que des toiles où on semblait ressentir un impressionnisme assez important. Le dit « super vilain » avait laissé place au « super héros », qu’il commença à interpréter dans les rues de la ville, la nuit tombée. Ses pouvoirs devaient être utilisés, pour une meilleure cause qu’il y a quelques années. Sauver des vies, aider les gens, et détruire ceux qui nuisent à la sécurité générale.
Le temps passait, la technologie lui apporta ce qu’il avait toujours attendu. Un support qui serait adapté à cette vague d’imagination qu’il ne parvenait plus à retenir. Il vit passer l’ancêtre du jeu vidéo, d’internet, tout. Ce n’est qu’en mille neuf cent quatre vingt quatre qu’il lança son entreprise, et son premier jeu sorti en quatre vingt six. Le succès fut presque brutal. Cette petite société grossit de façon marquée, les médias n’oublièrent d’ailleurs pas de le prendre d’assaut. Quatre vingt dix-neuf. L’année de révélation. Un simple petit entretien avec une reporter, envoyée pour remplir quelques pages d’un ouvrage. Pourtant quelque chose leur tomba dessus au moment même où leur regard se sont croisés. Croyez-vous au coup de foudre ? Non ? Fermez cette page alors, ça vaut mieux. Parce que ce qui s’est passé là en a tout l’air. Comment expliquer…non, je n’expliquerai pas, tout simplement parce qu’il n’y a rien à dire. Ils se revirent plusieurs fois. Ce n’est qu’un an plus tard qu’ils sortirent officiellement ensemble…s’installer, ils avaient aussi beaucoup d’autres projets qui fusaient mais que l’un ne parvenait pas toujours à dire à l’autre, tout comme ces lourds secrets qu’il cachait à Genesis. Deux années plus tard, l’annonce qui lui fit lâcher une bouteille à 600$...il allait être père.
Iris Rubis Blodwyn, encore un cadeau qu’on avait décidé de lui offrir, et pourtant en règle générale les présents ne sont pas trop sa tasse de thé. Ils durent déménager, pas bien loin, mais le jardin et la chambre supplémentaire se devaient d’exister. La même année, Joshua reçut un chiot pour son anniversaire…il avait voulu jeter les cadeaux par la fenêtre comme d’habitude, seulement là, ce n’était pas possible. Cette petite boule de poil ne pouvait pas voler, c’est certain. Leur situation était bien entendu sérieuse, et une idée lui trotta dans la tête. Le genre d’idées qui l’a empêché de dormir pendant des nuits et des nuits. Cette même idée qu’il finit par sortir d’une façon très…originale, comme toujours. Une demande en mariage, qu’elle accepta. Les présentations avec ses beaux-parents se devaient donc d’avoir lieu. Direction Australie, où il dû passer les plus longues journées de sa vie. Il faut dire qu’avec sa belle mère, c’est assez…compliqué. Elle aurait préféré être mariée à lui plutôt que sa fille, du moins c’est ce qu’on pourrait s’imaginer. Qu’importe. Le mariage eut lieu en deux mille cinq, et depuis, rien n’a changé, ou presque. La loi de recensement ne fut pas bien vue par Joshua qui refusa de s’y plier. Il rejoignit donc les rangs de la Résistance, dont la tête forte était le célèbre Captain America.