Aujourd'hui, il n'avait pas eu d'impératifs : les missions se faisaient de plus en plus rares, d'autant que la dernière pour sa part avait été un échec. Un échec cuisant qui ne s'était heureusement pas terminé en arrestation. Il aurait très mal vécu ce moment, surtout avec pour seule contemplatrice une déesse qu'il avait longtemps porté dans son cœur. La violence dont il avait fait preuve ce jour-là l'avait profondément perturbé, à tel point qu'il n'osait plus toucher ses propres coéquipiers, de peur d'avoir des réminiscences. Il avait besoin de digérer ça, tout simplement...et seul le temps pouvait faire son œuvre.

Rares étaient les résistants qui avaient encore un logement dans les quartiers de Big Apple, généralement, ils préféraient se terrer dans les entrailles de l'Héliporteur. Il y avait un nombre de chambres suffisants pour accueillir presque la moitié des effectifs, or le reste devait encore rester chez eux – d'ailleurs c'était souvent de leur plein gré qu'ils restaient là-bas. La plupart possédaient une famille, oui, les histoires tragiques ne couraient pas les rues contrairement à ce que l'on pouvait croire. Les héros avaient leurs défauts et leurs qualités, leur historique également, mais c'était loin d'être un stéréotype.

Warren vivait seul dans un appartement de quatre pièces, dans le quartier de Manhattan. Il n'avait pas eu de scrupules à placer son argent dans un beau logement, plutôt bien situé comparativement à d'autres. Il le quitta tôt pour pouvoir faire quelques courses, chose à laquelle il passait peu de temps. D'ailleurs, pour ainsi dire, son menu régulier était constitué de plats préparés ou de viande sous vide. Autant dire, pas la meilleure nourriture qui soit. Mais il n'avait pas le temps ni l'envie de se préparer de bons petits plats, et personne n'était présent chez lui pour pouvoir partager ce moment avec lui. La solitude, oui, parfois, lui pesait.

Se baladant dans la rue principale, il s'arrêta près d'une bijouterie où trônait de magnifiques pièces, pendant un moment il s'imagina à la place d'un jeune fiancé procédant au choix de la bague pour sa future promise. N'importe quoi. Jamais un ange n'aura le droit à un tel traitement de faveur par le destin.

Jusqu'à ce qu'un individu interpelle ses sens. La vue en premier : il portait un long manteau beige, peu discret, digne des anciens films des années soixante dix. Un bras était dissimulé sous celui-ci, comme s'il voulait y cacher quelque chose. Et c'était cela qui l'inquiétait. Suivant des yeux l'homme, Warren se fit bousculer par un second homme qui rentra à son tour. Fronçant légèrement les sourcils, il se décida à entrer à son tour. C'est à ce moment précis que le second homme bloqua la porte d'entrée de sa masse corporelle, une arme de poing au bout du bras, menaçant quiconque bougerait. Le premier en fit autant, sortant son arme qu'il pointa sur la gérante du magasin.

Il les incitèrent, avec le ton empli de violence, à se coucher par terre. Les potentiels clients de la bijouterie ne se firent pas prier et s'étalèrent, main sur la tête, au sol. Sauf un. C'était Warren.

« Par terre, j'ai dis ! », hurla le premier.

Angel avait confiance en ses capacités. Et il était suffisamment proche du second, près de la porte, pour faire changer la donne. Il prit effectivement de bonnes initiatives, Warren recula violemment et percuta l'homme, qui lâcha son arme sous le choc. Le mutant s'en empara, attrapa le malfaiteur et le menaça avec sa propre arme.

« C'est terminé. Partez avant que mademoiselle n'appelle les forces de l'ordre. »

Dans son tourment sans fin, une ombre parmi les ombres s'était démarquée. C'était celle d'une femme, l'air banale, et qui pourtant recelait beaucoup plus de pouvoirs qu'elle ne semblait l'admettre. Cachée entre les civils, elle était sortie de la boutique afin de le rattraper. Mais l'ange n'était pas bien loin, il avait été suffisamment rapide pour intercepter le fuyard, et l'agrippait au cou, prêt à l'étouffer par pression de ses doigts. Autour de lui, tout était rouge. Il voyait chaque être vivant comme simple bétail à éliminer, pire encore, il ressentait une envie d'aller jusqu'à eux et de broyer leurs membres jusqu'à ce que mort s'en suive.

Mais elle avait agi au péril de sa propre vie, et le Warren qui était spectateur de cela le ressentit au plus profond de son être. Le filet de sang descendit le long de sa joue, tâchant par la même occasion le visage de sa victime, qui sursauta à ce contact des plus désagréables. Archangel relâcha sa poigne, laissant tomber par la même occasion sa proie qu'il tenait au dessus du sol, sous le regard stupéfait des passants et de ceux qui s'étaient enfuis de la boutique dans l'espoir de ne plus y croiser l'ange noir.

« Laissez-le partir... », crut-il entendre.

Il se redressa, puis s'avança dangereusement vers la jeune femme qui était aux portes de son établissement. Il fallut bien une bonne minute pour lui pour s'y rendre, une longue minute interminable pour toute l'assemblée. Archangel s'arrêta net à moins d'un mètre d'elle, la surplombant de sa carrure ainsi que ses ailes gigantesques. Son regard rougeoyant la scrutait en silence, jusqu'à ce que la métamorphose inverse se fasse. Le pourpre de ses iris fut remplacé par un éclat azur, le bleu de sa peau par un teint naturel, ses ailes métalliques par des plumes blanches.

Il ne comprit pas de suite ce qui lui arrivait. Lorsqu'il quitta des yeux la jeune femme, il regarda autour de lui. Ces visages horrifiés, statufiés sur place, comme s'ils avaient vu un monstre dévorer leurs propres enfants. Le genre de monstre que l'on enfermait. Qu'on ne replaçait plus sous les rayons solaires, par peur de le voir s'en prendre aux autres encore une fois. Warren ravala sa salive, le poing contre ses lèvres, tentant de contenir tant bien que mal ses larmes.

« Je suis désolé... », souffla t-il à l'intention de tous ces pauvres gens.

Lui, le défenseur des Hommes, avait de nouveau fauté à cause de ce qu'on avait fait de lui.
L'homme était perdu. Entre sueurs froides et coups de chaud, son corps était complètement déréglé.

Ce n'est qu'en se métamorphosant qu'il ressentit la douleur. Elle n'était pas vive, juste quelques picotements l'indiquaient qu'une plaie s'était ouverte sur sa joue. Et ça saignait. Tellement qu'un léger filet de sang était en train de rouler sur son visage, menaçant de s'écraser sur ses clavicules saillantes. Aussi étrange que cela puisse paraître, il fit très vite abstraction du remue-ménage alentours et de ses acteurs, pour se concentrer sur celle qui, du simple son de sa voix, avait réussit à calmer le monstre qui l'habitait. Ce n'était évidemment pas cette étrange blessure survenue au bon moment qui l'avait bousculé, bien au contraire, Dark Angel aurait pu puiser dans sa douleur pour pouvoir la transformer en haine dévastatrice. Mais il ne le fit pas, et Dieu seul sait comment son hôte avait été maîtrisé.

Elle sortit un mouchoir et commença à panser la blessure de Warren à sa manière. Elle rangea celui-ci dans un geste anodin et le remercia. Gratifier de quoi ? Pourquoi faisait-elle soudainement partir dans les limbes le visage noirâtre qui l'avait dévisagée plus tôt ? Ce que ne parvenait pas à comprendre l'ange, c'était qu'il avait voulu sauver la demoiselle et ce au péril de sa vie, et surtout celle des autres. La bijoutière était devenue sa protégée en l'espace de quelques minutes et il n'avait pas voulu décrocher de cela.

Mais, lorsqu'il crut à la fin de tous ses maux, l'imprévu vint frapper de nouveau Warren...et surtout la personne qui se trouvait en face de lui, cette si belle femme dont il ignorait le nom. Une détonation se fit, et, progressivement, l'expression faciale de l'inconnue commença à se tordre dans un rictus de douleur. Le visage de Warren se figea, il porta son regard au niveau du ventre de la jeune femme, qui le tenait en courbant légèrement le dos. Tout se passa très vite : il y vit une tâche rougeâtre, qui ne cessait de boire les couleurs de ses vêtements au fur et à mesure que les secondes s'écoulaient.

« Non... non ! », lâcha t-il, à la fois inquiet et le cœur gonflé de colère.

Serrant les dents, il l'attrapa et la prit dans ses bras, bien conscient qu'il fallait cette fois agir très vite. Il regarda autour de lui. Il n'y avait rien d'autre qu'une foule qui se pressait, d'autres étaient apeurés par le coup de feu qui avait retentit. Plus loin, les sirènes de la police : il ne put s'empêcher de jurer dans sa barbe. L'hôpital n'était pas très éloigné d'ici, certes. Mais les moyens conventionnels pour s'y rendre n'étaient pas disponibles. La rue était complètement bloquée par la foule qui s'y trouvait. Alors il n'eut d'autre choix que de battre des ailes et de s'envoler dans la direction du centre hospitalier le plus proche...

Le voyage dura cinq minutes, ni plus, ni moins.

« Tenez bon. On y est. », lui confia t-il, tentant de la rassurer.

Il espérait sincèrement qu'aucun de ses organes n'ait été touché par la balle. Car ceci allait compliquer les choses...
Warren se posa juste à l'entrée des Urgences, bousculant ceux qui se trouvaient sur son chemin pour pouvoir parvenir à l'accueil. Il ne fallut pas longtemps à la femme pour se rendre compte que c'était grave, et les explications baragouinées par l'ange, qui pourtant ne perdait pas son sang froid, lui avaient, semble t-il, suffit. L'homme la laissa sur un brancard, qu'il suivit jusqu'à ce qu'on lui interdise d'aller plus loin. La salle d'attente était pleine, mais surtout, quelque chose semblait gêner tous ces braves gens...le fait qu'il soit torse nu, par exemple, dans un lieu public. Il n'avait pas pu se couvrir et ne le pouvait toujours pas, c'est pourquoi il croisa les bras et se mit dans un coin de la salle, patientant en silence et tentant de faire abstraction de ces regards impudiques.

Une demie heure plus tard, un infirmier vint le trouver. Il lui expliqua la situation brièvement.

« Votre amie n'a pas perdu énormément de sang. L'extraction de la balle s'est faite sans problèmes et aucune blessure aux organes n'a été détectée. Elle pourra sortir aujourd'hui, ne vous inquiétez pas. »

« Je peux la voir ? »

« Bien sûr. Suivez-moi. »

Le grand blond le suivit, ailes plaquées contre son dos tant il semblait nerveux. Ils l'avaient simplement placée dans un box après qu'elle soit passée sur la table d'opération. On lui céda la place, c'est alors qu'il entra dans la petite pièce aseptisée et la trouva allongée sur une table d'auscultation. Le médecin urgentiste était présent également, mais il fallait croire que Warren était trop obnubilé par la santé de l'inconnue pour le voir.

« Est-ce que ça va ? », s'enquit-il.

Lorsque le médecin urgentiste céda la place à Warren, ce dernier le remercia brièvement des efforts mis en place pour pouvoir sauver l'étrangère. Bien évidemment il fit croire qu'il s'agissait d'une amie, sinon vous pensez bien qu'ils auraient été tout de suite attisés par l'étrangeté de la situation. Une fois tous les deux dans la pièce, il se sentit un peu dépourvu de moyens pour faire la conversation. Mais aussitôt elle sut quoi faire, quoi dire. A croire qu'il tombait toujours sur des personnes qui le complétaient. L'ange sourit malgré le fait qu'elle n'ait pas répondu à sa question, après tout elle avait sans doute d'autres chats à fouetter. C'était du moins ce qu'il se disait mais en tous cas ses grimaces à chaque mouvement mettaient en exergue le fait qu'elle soit réellement atteinte par cette blessure. Du repos lui serait demandé, même si elle pouvait sortir aujourd'hui, c'était une certitude. Il la gratifia du regard, hochant la tête par la même occasion.

« Ne me remerciez pas. J'ai...fait beaucoup d'erreurs. Je regrette sincèrement. »

Sans compter qu'il ne pourrait malheureusement pas réparer les dégâts, elle devrait se débrouiller avec son assurance sur le sujet. En espérant qu'elle soit assurée pour se type de désagréments, ce qui n'était pas le cas de tous les établissements new yorkais. Mais il estimait qu'une bijouterie avait beaucoup plus de risques liés à cela, aussi avait-elle sans doute fait le nécessaire à son ouverture. La plaie lui brûlait un peu le visage, mais chose étrange, celle-ci avait presque disparu de son épiderme. Il s'agissait en réalité de son sang curatif qui faisait effet à court terme.

Puis soudain, il la vit se figer.

« Que se passe t-il ? », demanda t-il à celle dont il ignorait même le prénom.

Elle semblait chercher quelque chose. Puis, lorsqu'elle parla du médaillon, tout s'éclaira dans sa tête : oui, il s'était détaché lorsqu'il l'avait prise dans ses bras, et aussi avait-il prit soin de le mettre dans la poche de son jean, bien à l'abri. Le temps que cela lui revienne, elle était déjà à tenter de se redresser, se leva, mais tellement faible, il la réceptionna au vol alors qu'elle se laissait tomber vers l'avant. Warren prit soin de ne pas toucher à son ventre qui était bandé et blessé.

« J'ai votre médaillon, ne vous inquiétez pas. »

Le remercier une troisième fois ? Il ne lui en laissa pas l'occasion et lui dit simplement « chut », accompagné d'un doux sourire. Il l'aida à se rasseoir sur son lit de fortune. Sa peau était glacée, elle devait avoir perdu quand même une certaine quantité de sang pendant l'opération. Les cernes commençaient à se creuser un peu sous les yeux de la jeune femme. Une fois rallongée, il sortit de sa poche de jean le médaillon. Il tenait dans ses mains chaque extrémité du collier, prêt à le lui mettre.

« Si vous permettez ? Je ne suis pas très doué, mais je pense au moins réussir à faire ça... »

Toujours à se dévaloriser. C'en était parfois navrant, car il avait des capacités hors du commun.
Le grand blond le lui apposa au cou et accrocha le tout en  quelques secondes et après quelques tentatives – c'était que ce n'était pas simple ces choses-là, quand on avait de gros doigts. L'air satisfait, il reprit une distance raisonnable avec elle et croisa les bras sur son torse.

« Je peux vous ramener chez vous, si vous voulez. Ou au moins à la boutique pour que vous puissiez la fermer. »

La méthode de transport n'était pas encore indiquée, mais elle devait se douter qu'il avait dû le faire à tire d'ailes...

« Vous avez de la famille ? Des amis ? Un... - il bloqua sur ce mot, aussi étrange que cela puisse paraître – conjoint à prévenir ? Ca n'arrive pas tous les jours ce genre de choses, et vaut mieux vous occuper de vous. »