Elle avait l’air d’une véritable New-Yorkaise ainsi, à siroter son café sur la terrasse d’une brasserie de la 5ème avenue. Le genre d’endroit hors de prix où s’affairaient parfois les gens importants sur lesquels la déesse gardait un œil. Elle n’était pas ici uniquement pour son bon plaisir, évidemment. Elle leva le nez de sa tasse en sentant un regard sur elle, voyant qu’un homme dans la rue marchait dans sa direction. La déesse avait beau le scruter, elle jurerait ne l’avoir jamais vu auparavant. Pourtant, celui-ci la regardait comme s’il la connaissait, affichant un fin sourire malsain qu’elle détesta aussitôt. En fait, il ne lui était pas si peu familier que ça, à mieux regarder. Le sourire carnassier de l'homme s'agrandit furtivement et Sigyn écarquilla les yeux de compréhension lorsqu'il la salua au passage. C’était Cletus Kasady, Carnage ! Il avait seulement pris l’apparence d’une autre personne, encore ! Stupéfaite, Sigyn se retourna pour observer le mutant s’éloigner le plus naturellement du monde tandis que de mauvais souvenirs remontaient à l’esprit de la blonde. Elle délaissa son café sans payer et se lança à sa suite. Non, Sigyn n’était pas une voleuse, c'est juste qu'elle oubliait souvent que chez les humains, chaque chose avait un prix. D’autant plus qu’elle n’avait jamais eu besoin de payer ses boissons jusque là : un homme bien ou mal avisé se chargeait souvent de le faire à sa place. Trop peu de gens prêtaient attention à son alliance au doigt qu’elle était parfois obligée d’agiter devant le nez des vis-à-vis pour qu’on la laisse en paix.

De toute façon, cette mauvaise action inconsciente pouvait être pardonnée par les bonnes intentions de la déesse. Elle ne voulait certainement pas qu’une autre personne soit victime des mauvais tours de Carnage, et s’il avait pris l’apparence de quelqu’un d’autre, alors il devait bien avoir une victime en tête ! Sigyn le suivit, sans gêne, et s’arrêta un instant devant les escaliers de l’immense banque dont il avait franchi les portes. Oh, c’était donc juste une histoire de fraude ? Décidant de tout de même garder un œil sur Cletus, Sigyn gravit les escaliers avant d’être arrêtée par un agent de sécurité.

« Pardonnez-moi madame, la banque subit une trop grande affluence, revenez un autre jour. »

Sigyn se retint d’afficher un air estomaqué. L’agent venait de laisser passer Cletus juste sous son nez !

« J’ai rendez-vous, moi ! », rétorqua t-elle froidement en l’esquivant.

Elle ne savait pas du tout comment fonctionnait une banque et si cette histoire de rendez-vous tenait debout mais en tout cas, l’homme n’insista pas – et heureusement pour lui ! En poursuivant sa route, Sigyn vit du coin de l’œil une autre femme tenant la main de son enfant se faire congédier. Sans y prêter plus d’attention, elle passa les portes vitrées avant de trottiner pour ne pas le perdre Cletus de vue. Une forte affluence, mon œil ! Sigyn s’était attendue à trouver un hall bondé de monde mais ce n’était absolument pas le cas. Il était seulement parsemé d’hommes à quelques endroits, et la présence féminine était incroyablement réduite, pour ne pas dire quasi inexistante. Quelle bande de misogynes ! La jolie blonde suivit Cletus et déboucha sur un long couloir où s’alignaient les portes de différents bureaux. Un banquier attendait devant la sienne et son visage s’éclaira de ravissement en voyant son client arriver. Carnage et lui se serrèrent la main, puis entrèrent dans la pièce sous le regard méfiant de la déesse.

Après quelques instants, elle prit place sur l’une des chaises d’attente dans le couloir, restant à une distance raisonnable de la porte par laquelle les deux individus étaient entrés. Bien sûr, elle ne comptait rien faire. Si l’unique but de Cletus était de détourner de l’argent, ce n’était absolument pas son problème et elle s’en moquait. Ayant toujours vécu en ignorant le besoin, Sigyn n’avait absolument pas la même vision de l’argent que les humains, et encore moins que les américains. Tout ce qui avait de l’importance pour l’instant, c’était que Carnage ne mette pas à sac l’endroit – elle savait qu’il en était capable s’il le souhaitait !

Elle s’attendait tellement à un problème survenant du mutant, que dès qu’elle entendit des coups de feu et des cris paniqués retentir du hall principal, c’est vers la porte d’où était entré Carnage qu’elle tourna un regard hébété. Que se passait-il ? S’éjectant de sa chaise, elle courut pour ouvrir la porte du bureau. Le banquier était seul, penché sur ses papiers comme si rien ne s’était passé. Comment ne pouvait-il pas avoir entendu les bruits de tir ?!

« Où est passé votre client ? » souffla la déesse, qui ne comprenait plus rien.

« Il vient de partir, vous êtes sa femme ? »

L’homme désigna du pouce la porte située derrière lui. Évidemment, ils étaient au rez-de-chaussée, il y avait des sorties partout ! Bon sang, Carnage avait déjà accompli sa petite besogne et était parti comme si de rien n’était ! Le banquier s’était manifestement attendu à ce que la femme prenne la même sortie que Cletus, c’est pourquoi il la rappela prestement lorsqu’elle prit la direction inverse à celle qu’il indiquait. Elle détala dans le couloir pour aller voir quel genre de grabuge s’était produit dans le hall. Une autre porte de bureau s’ouvrit sur son passage et la déesse tendit la main sur le côté pour créer un champ magnétique qui repoussa la personne voulant sortir de la pièce, l’obligeant à rester à l’intérieur.

« Ne bougez pas de là ! » ordonna t-elle en poursuivant sa course.

Si Carnage n’était pas l’origine du problème –pour une fois dans sa vie !- il avait néanmoins mis Sigyn dans de beaux draps, l’oiseau de malheur !

En retournant dans le hall, elle fut témoin du phénomène le plus étrange qu’elle n’avait jamais vu: toutes les personnes présentes étaient allongées sur le ventre, les mains croisées derrière la tête. Était-ce une vaste plaisanterie ? La déesse avait bien du mal à croire ce qu’elle voyait ! Les organisateurs de ce cirque étaient une poignée d’homme armés parcourant les allées et comptoirs, l’œil aux aguets. Le plus proche d’entre eux pointa son arme sur Sigyn en lui ordonnant de se mettre à terre aussi, et elle l’observa comme s’il était demeuré. Elle, déesse d’Asgard, devait se mettre au sol devant lui ? Et en quel honneur ? Plissant les yeux sans daigner répondre, elle s’avança vers lui d’un pas déterminé. L’homme recula, hésitant, puis finit par ouvrir le feu sur elle mais, hé ! Les dieux ne craignent pas les balles, pauvre ignorant ! Sigyn saisit l’arme à deux mains et elle put réaliser combien la force humaine était insignifiante lorsque elle releva le fusil qu’il tenait encore pour le frapper violemment au visage avec la crosse. Il s’effondra, lâchant l'arme pour la laisser aux mains de la déesse.

Elle se pencha alors légèrement vers son corps inerte, craignant que la force du coup ne lui ait brisé la nuque. Elle ne se souciait même pas des autres assaillants qui n’allaient certainement pas laisser passer un tel affront. Heureusement, elle n'était pas destinée à rester seule contre tous ...